- ESCALIER (histoire de l’architecture)
- ESCALIER (histoire de l’architecture)L’usage de l’escalier, extérieur et intérieur, est universel. Mais cet organe de circulation vertical connaît en Europe, à l’intérieur des bâtiments civils, un développement sans équivalent ailleurs: du XVe au XIXe siècle, il devient le moyen d’expression privilégié des ambitions monumentales et, par conséquent, un champ d’inventions inépuisable pour les architectes.Jusqu’à l’apparition de l’ascenseur, l’escalier a été le moyen de circulation verticale le plus utilisé. L’échelle qui l’a précédé est incommode; la rampe (montée dépourvue de marches) s’élève très lentement, ce qui en limite les usages.Les escaliers se situent à l’extérieur ou à l’intérieur des édifices. Les premiers correspondent à une dénivellation du terrain ou à une disposition particulière de l’architecture (rez-de-chaussée surélevé sur un socle, premier étage directement accessible de l’extérieur). Les seconds sont toujours liés à une construction à étages dont ils desservent les différents niveaux: on les trouve donc surtout dans l’architecture civile.Ces deux grandes catégories ont présenté pendant longtemps des caractères formels et sémantiques opposés. Les escaliers extérieurs prirent très tôt une grande ampleur parce que les hommes ont toujours attribué une valeur symbolique à la position élevée. En Chine, en Inde, au Proche-Orient, au Mexique, les temples, les palais occupent des terrasses, parfois superposées, accessibles par des escaliers. Moins vastes, les temples de la Grèce et de Rome sont également entourés ou précédés de marches. Lorsqu’il est lié à un bâtiment prestigieux, l’escalier extérieur a donc toujours un caractère monumental: sa largeur, sa pente (plus ou moins rapide), sa position (perpendiculaire ou parallèle à l’édifice) ne répondent pas à des préoccupations utilitaires mais à une volonté expressive (fig. 1). Aussi le grand jeu des volées disposées symétriquement apparaît-il très tôt dans les escaliers extérieurs – alors qu’il faut attendre l’époque moderne pour le retrouver dans les édifices (fig. 2).L’escalier intérieur, au contraire, est resté longtemps un organe purement fonctionnel. Les grands palais de l’Antiquité, ceux de l’Orient et du monde arabe s’étendent sur des surfaces immenses mais ils ne comportent pas de pièces d’apparat à l’étage: les grandes salles ouvrent directement sur les cours (qu’elles soient au même niveau ou directement accessibles par un degré extérieur). Partout les escaliers intérieurs ont été conçus pour occuper peu d’espace: les escaliers droits se placent soit entre deux murs, soit dans l’épaisseur d’un mur; les escaliers tournants, situés dans une cage développée en hauteur, n’ont au sol qu’une emprise limitée (fig. 3). Ces derniers, de loin les plus fréquents parce que les plus faciles à loger, appartiennent à trois types: la vis, l’escalier à trois (ou quatre) volées droites tournant autour d’un noyau carré, l’escalier rampe-sur-rampe à deux volées de sens contraire, inscrit dans un rectangle. Ces trois types de base semblent avoir toujours existé, mais leur fréquence est inégale suivant les lieux et les époques (la France médiévale, par exemple, ignore l’escalier rampe-sur-rampe).Importance nouvelle de l’escalier intérieur (XVe-XVIe s.)La situation ainsi décrite change du tout au tout en Europe à partir du XIVe et surtout du XVe siècle, lorsque les préoccupations de luxe, jusqu’ici réservées à l’architecture religieuse, commencent d’inspirer les constructions civiles. Dans cette partie du monde, les demeures d’une certaine ambition – châteaux, palais, hôtels – sont en effet, pour des raisons de défense ou de densité urbaine, des constructions en hauteur où les étages jouent un rôle aussi important, voire plus important, que le rez-de-chaussée. Le double souci d’une plus grande commodité et d’une apparence plus prestigieuse a donc amené le développement de l’escalier intérieur qui devient ainsi, pour la première fois, l’un des thèmes majeurs de l’architecture.Dans un premier temps (fin du XIVe s. et XVe s.), les architectes traitent avec une ampleur nouvelle les trois types d’escaliers tournants précédemment énumérés: escaliers rampe-sur-rampe couverts d’une voûte en berceau dans les palais italiens, grandes vis ou escaliers carrés à volées droites (ces derniers, beaucoup plus rares) construits dans des tours hors-œuvre très élevées en France ou en Allemagne. Les innovations ne se réduisent pas à l’accroissement du volume: les Italiens recherchent un rapport parfait entre l’escalier et les portiques qui bordent la cour, les Allemands et les Français s’efforcent de dilater l’espace limité de la vis en l’ouvrant sur l’extérieur et en remplaçant le noyau plein par un noyau creux formé de plusieurs supports (fig. 3). Plus que l’escalier rampe-sur-rampe, d’ailleurs, la vis se prête à des inventions extraordinaires: révolutions doubles à Chambord, escalier sans noyau, suspendu dans le vide, à Torgau en Allemagne, etc.Ces deux derniers escaliers, de même que celui du palais Farnèse à Rome, exactement contemporain, constituent en un sens les points d’aboutissement – opposés – des recherches poursuivies au XVe siècle: recherches de monumentalité et de rigueur en Italie, de transparence et d’effets merveilleux en France et en Allemagne. La diffusion européenne des formes italiennes qui caractérise la Renaissance provoque ensuite la disparition de l’escalier en vis comme escalier monumental. Mais, contrairement à ce qu’on aurait pu attendre, elle n’entraîne pas le triomphe de l’escalier rampe-sur-rampe. Des préoccupations nouvelles, qui se manifestent en premier lieu en Espagne, amènent en effet l’apparition de types inédits, plus complexes et plus riches de possibilités que l’escalier italien.Les grands escaliers intérieurs (XVIe-XIXe s.)La première innovation consiste à introduire un «jour» de grande dimension au centre de l’escalier carré à volées droites, jusqu’ici peu utilisé comme escalier monumental (fig. 4 a). Au lieu de tourner autour d’un noyau plein (ou ajouré), les volées se disposent autour d’un vide dans une cage vaste et bien éclairée. La combinaison des volées droites et d’un grand espace où l’on peut suivre le développement complet de l’escalier crée un effet monumental sans précédent. Dans les premiers exemples espagnols (La Calahorra vers 1511; Tolède, vers 1530), l’escalier, limité à un étage, repose sur des murs. La structure devient plus complexe lorsque ce type est adapté à une construction à plusieurs étages – ce qui se produit en France dès le XVIe siècle: des piliers ou des colonnes situés aux quatre coins du «jour» reçoivent des arcs qui supportent les marches. Enfin, dernière étape de ce développement, les piliers d’angle disparaissent, et les volées, soutenues par des arcs ou des voûtes en porte à faux qui se bloquent mutuellement, s’élèvent avec une merveilleuse légèreté le long des murs de la cage. Cette formule brillante, apparue vers 1530 à l’escalier du Capitole de Toulouse (détruit), exige une stéréotomie parfaite: elle sera pour cette raison particulièrement chère aux architectes français du XVIIe et du XVIIIe siècle.Un autre développement, souvent associé au précédent, est né de l’application du principe de symétrie aux escaliers intérieurs (fig. 4 b et c). Ce parti n’offre aucun avantage pratique puisque l’utilisateur n’a besoin que d’une seule montée, mais il donne naissance à des compositions majestueuses – à condition, bien sûr, que l’escalier soit entièrement visible. Aussi l’Italie de la Renaissance a-t-elle surtout employé l’escalier symétrique à l’extérieur des édifices: volées convergentes de la place du Capitole, volées en demi-cercle de Caprarola, etc. L’escalier intérieur symétrique ne pouvait s’imposer comme type qu’en Espagne, là où l’introduction du jour central avait permis pour la première fois de voir tout le développement des volées. Deux types différents y naissent au cours du XVIe siècle: un escalier très étendu en largeur qui résulte de la juxtaposition de deux escaliers tournants à volées droites et un autre, dit «impérial», plus proche de l’escalier rampe-sur-rampe, où la volée droite initiale est suivie de deux volées de sens contraires situées de chaque côté. Dans un cas comme dans l’autre, l’escalier se développe sur un étage dans une cage unique, ouverte sur les portiques de la cour. L’Alcazar de Tolède (vers 1550) et l’Escorial (1571) montrent les premiers exemples de chaque type (schémas 27 et 26).Les formules espagnoles qui permettent de nombreuses variations se répandront dans toute l’Europe: à Gênes dès la seconde moitié du XVIe siècle, en France au XVIIe, et surtout en Europe centrale, où elles connaîtront au XVIIIe siècle leurs plus beaux développements. En France, la perfection atteinte par l’escalier suspendu à trois volées a sans doute limité la diffusion de cette formule, d’ailleurs mieux adaptée à des résidences princières ostentatoires qu’aux châteaux et aux hôtels. Au XIXe siècle, la plupart des théâtres, des hôtels de ville, des grands magasins seront dotés d’escaliers symétriques: symboles consacrés du pouvoir, ils anoblissent désormais les bâtiments publics et expriment l’assurance de la société bourgeoise.Ainsi les exigences de symétrie et d’ampleur spatiale apparues au XVIe siècle ont-elles provoqué un extraordinaire développement de l’escalier dans la grande architecture . L’organe de circulation, longtemps limité à un espace restreint, a fini par occuper un volume considérable dans les bâtiments: offrant des vues en tous sens, imposant des parcours et des gestes, il est devenu une sorte de théâtre où chacun est à la fois acteur et spectateur.Aujourd’hui, cette histoire semble terminée. L’introduction de l’ascenseur et de l’escalier mécanique, le refus de gaspiller un espace devenu trop précieux expliquent la disparition de l’escalier d’apparat. Mais les raisons techniques et économiques ne sont sans doute pas les plus importantes: «pièce maîtresse d’un art d’ostentation» (A. Chastel), voué à la mise en scène de la vie aristocratique (la bourgeoisie triomphante reprenant à son compte les mêmes valeurs), le grand escalier est lié à une conception hiérarchique du monde, à un sens du cérémonial et de la fête, à un goût de la représentation dont nous n’avons plus idée. La rampe en spirale du musée Guggenheim à New York, la grande montée mécanique du Centre Georges-Pompidou indiquent toutefois que l’on peut encore innover, mais les développements futurs n’auront rien de commun avec ce qui a précédé parce que la signification de l’escalier, désormais, n’est plus la même.
Encyclopédie Universelle. 2012.